back to the start.

Le moteur rugit sous le capot, il peut l’entendre d’où il se tient. Sa permanence achevée, il court, déjà, récupérer Honor à la sortie de l’école. Ses doigts flirtent la boîte de vitesses dangereusement, l’adrénaline, il a toujours aimé ça derrière ses airs de fils à papa trop rangé. Et pourtant, même à trente-et-un ans, il gardait ses jouets, son jouet, une magnifique Cadillac flambant neuve et généreusement offerte par son père le jour de ses dix-huit ans. Bon, il ne l’utilisait plus depuis bien longtemps, c’est vrai, mais elle demeurait, aux dernières nouvelles, toujours, sous sa protection, conservée à l’abri des regards indiscrets. Aujourd’hui, ses hobbies, toutefois, n’étaient plus que secondaires à ses yeux. Après tout, ne venait-il pas de grimper à bord d’une voiture familiale aux nombres de places démentiels ? Il était père de famille désormais, et il s’en était accommodé, curieusement, plutôt bien. Quoi de plus normal pour un pédiatre me diriez-vous ? Les gosses après tout, c’est son rayon. Pour son plus grand malheur, pourtant, les rumeurs ne faisaient que s’accroître autour de sa petite personne, et pire, autour de sa fille adorée. Il en était même arrivé à soupçonner ses propres parents de trahison, ils n’étaient pas dupes, bien au contraire, Honor ne ressemblait aucunement à une Hareth, leurs regards échangés, perplexes ne le trompaient plus, plus maintenant. Il fait chaud, il étouffe dans l’hypocrisie hostile de Silverdale, il a beau adoré sa fille, l’école a toujours été ce qu’il détestait le plus au monde. Se garant en double file, il sort de son cocon, le regard fuyant, et puis, comme tous les autres, il attend, longtemps. La peine l’envahit, comme un manque de légitimité exposé. Il détestait les ragots, ils ravivaient sans cesse la douleur fragile de son passé inexistant. Lui, le meilleur ami, la plante, la décoration, le sourire forcé, la jalousie brillamment dissimulée. Trop différent, trop seul, et surtout, trop droit. Et si, Eryn était sur le point de l’épouser à présent, il ne pouvait, au fond de lui, ignorer ce sentiment de justice, comme un étendard flottant sous fond de revanche personnelle. Ciarán, était son frère, bien sûr qu’il l’aimait, seulement, s’il l’avait aimé, il l'avait envié tout autant durant leurs dernières années. La cloche résonne comme un écho dans sa tête, il se penche légèrement pour entrapercevoir Honor, son bout de soleil. Il attendra dix minutes supplémentaires. Là, il peut, enfin, la serrer dans ses bras. Se saisissant de son cartable pourpre, bordeaux, il est tout de suite plus viril encore. Rapidement, elle s’accroche à son cou, s’amusant volontiers à nouer sa cravate plus que de raison. « Papa ? Pourquoi tu viens jamais dans une ambulance ? » Il sourit à ses mots, offrant, pour seule réponse, un regard énigmatique et amusé à sa fille. Elle fronce les sourcils et improvise un nœud marin. « Tu veux que je vienne en ambulance ? C’est pour les piqûres tu sais ? Tu veux une piqûre ? » Il la dépose à proximité de la voiture et se met, à simuler de son doigt, une aiguille. Bien sûr, il a des bases bien établies, il connait Honor autant que sa mère, il sait où elle est chatouilleuse. Honor rit aux éclats, il fait de même, plus rien ne compte, le temps s’est arrêté pour lui. Du moins, c’est ce qu’il voulait croire. Aujourd’hui, il était comblé, rien ne semblait être capable de lui retirer ça. Et si, pour certains, Honor resterait la fille de Ciarán O'Farrell, c’était bien lui qu’elle appelait papa.

Il l’installe sur son siège avant de boucler sa ceinture. Puis soucieux, de nouveau, il ferme la porte avant d’appeler Eryn, lui assurant de passer prendre du chinois pour le dîner. Les rues sont bondées à cette heure, il jure comme il est rare de l’entendre, et puis, dans sa complète plénitude tombe sur lui. Eyron n’est pas véritablement sûr, l’homme face à lui est bien plus négligé que ne l’était Ciarán. Ses traits lui sont pourtant identiques, identiques à Honor surtout. Il jette un œil par la vitre, elle mange son goûter en toute insouciance. N’enjambant la portière que partiellement, il regarde sa fille avec angoisse. « Papa va parler au monsieur qui veut bloquer la circulation. J’en ai pour cinq minutes. » Et il sort, desserrant sa cravate, la jetant négligemment sur son siège. Il n’allait pas tout perdre pour quelques remords mal venus. Il ne pouvait pas revenir, il ne pouvait pas reprendre sa vie là où il l’avait laissé cinq ans auparavant. Il ne le supporterait pas, il allait enfin finaliser son union avec Eryn, il ne pouvait simplement pas revenir maintenant, ni jamais d’ailleurs. Honor était sa fille, il l’avait vu naître, il l’avait vu faire ses premiers pas, dire ses premiers mots. Encore actuellement, il lui apprenait à faire du vélo et à lire. Le visage impassible, il arrive à la hauteur de son ancien frère. Le voir vivant, lui retirer certes, une épine du cœur mais quand bien même ce n’était pas suffisant à combler sa rancœur dévorante. Il avait frappé sa petite amie enceinte. Pourquoi ? Eyron l’ignorait mais les faits étaient là, jumelés à la cruauté du père. Et dire qu’à l’époque, il considérait encore Eryn comme sa petite sœur. Quelle douce ironie, pour sûr que son meilleur ennemi devait s’en mordre furieusement les doigts, à condition qu’il puisse aimer encore quiconque, évidemment. « Je ne sais pas ce que tu fous ici mais tu peux repartir illico d’où tu viens. Eryn se porte bien mieux sans toi, ne vient pas tout gâcher, on n'a pas besoin de ça. »